Les enjeux de société et les marchés financiers sont de plus en plus interconnectés. Les risques et opportunités de nature environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) sont d’autant plus grands. Les bouleversements géopolitiques, les changements climatiques et même les conflits de travail peuvent entraîner des répercussions considérables partout dans le monde.

Traditionnellement, la majorité des stratégies de placement visait principalement à augmenter le rendement attendu du portefeuille, tout en considérant la capacité de l’investisseur à prendre des risques. C’est toujours vrai aujourd’hui, mais des considérations ESG doivent désormais être prises en compte dans les décisions de placement. Et pour cause : les risques de pratiques non durables peuvent être tout aussi importants, voire plus que d’autres risques de nature financière, comme la volatilité des marchés boursiers, des taux d’intérêt et de l’inflation. Ainsi, de plus en plus d’investisseurs veulent aujourd’hui que leur portefeuille de placement soit investi de manière durable.

Le concept de durabilité peut être vaste, voyons alors comment s’y prendre pour que les approches portent leurs fruits.

UNE QUESTION DE VALEURS

L’investissement durable, au-delà de la gestion de risque, offre aux investisseurs institutionnels et individuels une structure qui leur permet de maintenir la cohésion entre leurs investissements et leurs valeurs. En somme, c’est une façon de joindre l’acte à la parole.

De plus, dans la stratégie d’investissement durable sélectionnée, il est important pour les investisseurs institutionnels de prendre en considération la mission de l’organisation ainsi que les préoccupations et les valeurs des employés représentés, puisqu’une large part des actifs investis provient de leurs programmes de retraite. Les employés sont de plus en plus exigeants à cet effet et font pression pour que les organisations soient cohérentes et se dotent des moyens de leurs ambitions. Dans leurs approches d’investissements individuels, les employés souhaitent de plus en plus aligner leurs valeurs et ils vont même jusqu’à partager avec leur employeur leurs préoccupations face aux stratégies de placement collectives.

Dans les faits, l’investissement durable est un écosystème basé, entre autres, sur la pression par les pairs où chacun a son rôle à jouer. Les compagnies dans lesquelles on investit via des fonds de placement réagissent aux demandes de leurs investisseurs et de leurs employés. Raison de plus pour exiger plus de décisions durables dans la gestion des entreprises.

LA CARBONEUTRALITÉ AU CŒUR DES PRÉOCCUPATIONS ET DES DÉCISIONS

Quel est le rôle des investissements dans les objectifs mondiaux de carboneutralité ?

Des trois piliers de l’investissement durable, l’environnement est certainement le plus connu et celui que les experts ont le plus approfondi dans les dernières années. En effet, c’est aujourd’hui une certitude : l’humanité devra faire face aux conséquences des changements climatiques. Partout dans le monde, les gouvernements adoptent d’ailleurs des plans « climat » de plus en plus musclés.

Parmi les 120 pays ayant pris l’engagement d’être carboneutres d’ici 2050 dans le cadre du Pacte de Glasgow pour le climat (COP26) en novembre 2021, le Canada fait partie des 14 nations dont l’atteinte de cet objectif est maintenant ancrée dans sa législation. Ainsi, la loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité protège cette promesse faite aux générations futures. Par conséquent, l’ambition du gouvernement de respecter ses engagements climatiques se reflètera dans ses propres décisions d’investissement à long terme. On peut également présumer que de plus en plus de législations et d’exigences en matière de divulgation iront en ce sens, forçant tous les acteurs, dont les investisseurs, à passer aux actes.

Parallèlement, les huit plus grandes caisses de retraite canadiennes, communément appelées Canada’s Maple 8 (incluant entre autres la Caisse de dépôt du Québec, OMERS et Investments PSP), se présentent comme des partenaires dans ce virage vert que le pays s’est engagé à entreprendre. En effet, pour la première fois, en novembre 2020, les dirigeants de ces caisses de retraite — qui gèrent pour environ 2 000 milliards $ d’actifs — ont appelé les entreprises à fournir des informations ESG complètes afin de leur permettre de mieux évaluer et gérer leur exposition aux risques ESG. Le travail fait par ces grandes caisses de retraite accélère la démocratisation de l’investissement durable et permet l’accès à plus de possibilités pour les autres investisseurs.

D’ailleurs, de plus en plus d’entreprises divulguent maintenant aux investisseurs leur empreinte carbone, leur poids d’investissement dans les énergies fossiles et l’impact environnemental de leurs activités. C’est un premier pas, qui, espérons-le, en entraînera d’autres. Plus il y aura de divulgation de données ESG, comme l’empreinte carbone, plus il sera facile de mettre en œuvre des stratégies d’investissement durable et, de surcroît, de bien planifier la voie vers la carboneutralité, qui est d’ailleurs souvent mentionnée comme étant une priorité pour les investisseurs qui s’intéressent à l’investissement durable.

LES DONNÉES ESG EN CONSTANTE AMÉLIORATION

L’industrie des données ESG a vu le jour il y a plus de 10 ans. Aujourd’hui, on note plus d’une centaine d’entreprises dans le monde qui se spécialisent dans l’évaluation des pratiques durables des organisations. On note une amélioration continue de cette expertise qui permet déjà d’obtenir beaucoup d’information sur les pratiques durables ou non des entreprises. Pour l’heure, la divulgation de données ESG est faite sur une base volontaire par les entreprises. Les organisations peuvent donc recourir à une variété d’outils de reddition de compte pour communiquer l’intégration des considérations ESG à leurs parties prenantes. Toutefois, ce partage d’information ne fait pas encore l’objet d’un audit formel et standardisé.

Il y a quelques années, l’International Financial Reporting Standards (IFRS) Foundation a sondé le marché afin de connaître les besoins de l’industrie en matière de normes de durabilité, à savoir si un cadre formel était nécessaire. La réponse positive du marché a souligné l’importance donnée à l’investissement durable. Une demande formelle de création d’un cadre de divulgation crédible et standardisé de la performance ESG des entreprises a ainsi été émise en 2020.

Actuellement, l’IFRS Foundation développe un cadre permettant aux entreprises de faire le compte rendu non seulement de leur performance financière, mais également de la durabilité de leurs opérations. De cet effort est né l’International Sustainability Standard Board (ISSB). Ce cadre permettra aux entreprises de divulguer la durabilité de leur processus d’affaires afin que l’information soit transparente et comparable entre les différents acteurs de l’industrie, au même titre que les états financiers vérifiés publiés annuellement.

Montréal compte d’ailleurs parmi les villes qui accueilleront un bureau satellite de l’ISSB. Pour le Québec, il s’agit d’une occasion de se positionner dans un rôle de premier plan en matière d’analyse ESG pour devenir une plaque tournante de la finance durable. Ce bureau de l’ISSB sensibilisera entre autres tous les joueurs de l’industrie de la finance québécoise à l’importance d’intégrer les principes ESG à leurs réflexions. Nous espérons également que cela permettra de proposer une offre de produits de placement durable plus étoffée, sensibilisant encore davantage les investisseurs.

Bien que les investisseurs aient en ce moment assez de matériel pour pouvoir déployer des approches d’investissement durable intéressantes et porteuses pour l’avenir, tous ces efforts bénéficieront à terme aux investisseurs institutionnels et individuels souhaitant intégrer une approche ESG dans leur stratégie de placement, puisque les données ESG seront plus robustes et comparables.

PLUS QU’UNE TENDANCE

Les gestionnaires de portefeuille sont de plus en plus à l’écoute des demandes des investisseurs quant aux différentes approches d’investissement durable.

D’ailleurs, 39 des 40 plus importants gestionnaires d’actifs au Canada sont signataires des Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) de l’ONU. Cette initiative, qui rassemble des acteurs financiers engagés envers l’investissement durable, a pris beaucoup d’ampleur au cours de la dernière décennie. Et le mouvement continuera de s’amplifier.

Certains pays, comme le Royaume-Uni, ont déjà rendu obligatoire la considération de facteurs ESG dans les politiques de placement des régimes de retraite. Au Canada, l’Ontario demande depuis 2016 aux comités de retraite de divulguer s’ils adhèrent ou non à des principes d’investissement durable dans leurs décisions de placement. Même si cette pratique n’est pas encore obligatoire au Québec, tous s’entendent pour dire que les entreprises qui élaboreront leurs propres stratégies d’investissement durable et mettront de l’avant leurs considérations auront un avantage concurrentiel dans les années à venir. De plus, en tenant compte des risques importants associés aux changements climatiques et en utilisant l’information d’intégration ESG divulguée par les entreprises dans lesquelles elles sont investies, ces entreprises seront vues comme des employeurs qui répondent aux attentes de plusieurs de leurs employés.

De toute évidence, l’investissement durable est là pour de bon. L’avenir des générations futures étant entre nos mains, il est temps de lui faire une place dans les stratégies d’investissements.

Un article signé